Nous utilisons le même verbe aimer pour parler d’une image, d’un objet, d’un son, d’une odeur, d’un goût, d’une personne. Nous utilisons le même verbe aimer quand il s’agit de passion amoureuse, d’amitié ou de compassion.
J’ai mis des années à penser que parler de « éros », « philia » ou « agapè », les trois façons d’aimer, relèverait d’une exagération emphatique . J’ai toujours peur de fatiguer mes « impatients.tes » avec des mots ou des expressions « compliqués ». Je me rends compte aujourd’hui que j’ai eu tort.
Ces trois types d’amour différents sont : Eros, Philia et Agapè.
Eros signifie amour-passion, désir, manque.
Philia signifie amitié, la joie d’aimer ce que l’on a et ne pas désirer ce que l’on a pas.
André Compte Sponville dans son livre : « Le sexe ni la mort », cite un auteur anonyme du XXème ou XXIème siècle : « Qu’est-ce qu’un ami ? Un ami, c’est quelqu’un qui te connaît très bien, et qui t’aime quand même ! »
Agapè : la compassion dans le sens : aimer son prochain, c’est-à-dire n’importe qui, quoi qu’il soit et quoi qu’il fasse.
Une de mes impatientes me disait sa souffrance et son incompréhension face à des émotions paradoxales qu’elle ressentait à l’égard de son beau-père : un mélange de dégoût et de compassion. Dégoût à cause d’un comportement séducteur et des gestes déplacés de la part de son beau-père et compassion parce qu’il est « gentil et aidant ».
Elle pensait qu’elle n’était pas « normale ». Mais surtout, elle avait peur que sa compassion soit un sentiment proche de l’éros. Quand elle a pu enfin mettre des mots sur ce qu’elle ressentait, quand elle a pu enfin s’expliquer ses ressentis contradictoires, elle ne s’est plus sentie coupable. Elle peut aujourd’hui faire la part des choses et repousser plus ouvertement les avances de son beau-père.
L’amalgame lexical et émotionnel qu’engendre la pauvreté de notre vocabulaire quand il s’agit d’amour, fait beaucoup de dégâts.
Evoquer Eros, Philia et Agapè nous permet de rompre avec cette confusion qui alimente les quiproquo déjà bien installés dans notre vie relationnelle de couple.
Le couple n’est pas naturel
Il est difficile de vivre à deux parce que le couple n’est pas une chose naturelle.
Nous tombons dans le piège de croire que le couple est « naturel » puisqu’il suit et parachève la plupart du temps un lien amoureux, une attirance qui est bien de l’ordre du naturel, ou pour le moins du spontané. La passion amoureuse est naturelle mais la cohabitation et tout ce qu’elle implique n’est plus de l’ordre du naturel, du spontané. Au bout de quelques mois ou de quelques années, l’amour intense disparait et laisse la place à l’ennui et à la lassitude. C’est pour cette raison que, après la phase amoureuse du début, le couple a tendance à s’éloigner. Il se produit un aménagement du couple et une maturation des individus. Une maturation souvent différente qui entraîne un décalage. Le couple, tel qu’il existait jusque-là, n’est plus viable mais ce n’est peut-être pas une raison pour se séparer. Quand ils en arrivent à ce constat, les couples, bien souvent, croient qu’ils sont en échec. C’est faux. Cet éloignement se produit naturellement et c’est le moment de réfléchir, s’assoir, discuter, échanger, réinventer une façon de vivre ensemble si on désire faire durer le couple. Le couple peut ainsi amorcer une autothérapie ou faire appel à un thérapeute de couple qui les accompagnera dans leur reconstruction.
La passion amoureuse ne reviendra pas mais il y a, à mon avis, encore mieux que la passion amoureuse : un plaisir partagé de vivre ensemble. « C’est avec toi que je veux continuer, c’est à côté de toi que je suis bien et que je peux évoluer dans ma vie personnelle. »
« Je ne t’aime plus à la folie mais je t’apprécie pour ce que tu es. »
Le fond change de forme.
Qu’est-ce que le quiproquo sexuel ?
Dans le couple qui dure, chacun-e attend de l’autre un comportement sexuel et affectif idéal et immuable. Or le temps qui passe, la promiscuité et la routine opèrent progressivement un travail de sape qui ronge le merveilleux de la rencontre et cache les évidences de la réalité : l’homme et la femme perdent l’élan magique qui les poussait l’un vers l’autre. Ils font l’amour moins souvent et l’homme le déplore. Ils sont moins romantiques et la femme le déplore. Dans le quiproquo sexuel, il y a « erreur sur la personne ». L’homme croit que la femme dont il est tombé amoureux exprimera indéfiniment son désir sexuel de la même façon qu’au début de leur passion, spontanément et fréquemment. La femme croit que l’homme dont elle est tombée amoureuse exprimera indéfiniment séduction et romantisme de la même façon qu’au temps de leur rencontre, spontanément et fréquemment. Tous deux expriment avec moins d’enthousiasme le plaisir d’être ensemble. Il y a moins de désir de jeux, moins de réciprocité dans la curiosité, moins de joie de vivre. Ils s’accusent l’un l’autre de ne plus s’aimer autant – ce qui est vrai – mais n’osent jamais exprimer : « Je t’aime moins, mais je veux rester avec toi. » Cette phrase peut-elle être audible sans provoquer un tsunami affectif ?
(Du même auteur : Anne Marie Wolsfelt. Extrait du livre « A nous deux, le couple ! » publié en mai 2019 par les Editions Le Solitaire)
Les scènes de ménage n’émanent pas de la raison
On n’est pas d’accord et chacun-e pense qu’il ou elle a raison. On en est tellement convaincu-e que le conflit est inévitable ; mais ce sera un conflit sans aboutissement, sans résolution du problème. Celui ou celle qui aura le dernier mot aura gagné. La scène de ménage n’est pas un dialogue. Ce sont deux monologues qui se croisent sans jamais se rencontrer. Et c’est pour cette raison que la violence s’installe, pour que la rencontre se fasse à tout prix ! L’impuissance de convaincre avec les mots entraîne la rencontre des corps. « Je ne peux pas te faire entendre raison avec mes mots, mes mots ne sont pas assez frappants pour te convaincre, alors je vais te frapper avec mon corps. »
Les gestes vont tenter d’accomplir ce qu’un dialogue inexistant laisse inaccompli : un véritable échange. Les coups tentent de remplacer les mots. C’est un déchaînement de colère, de cris, de pleurs des deux côtés mais ce n’est toujours pas un dialogue de raison.
Et cet état de faits ne résoudra rien ni d’un côté ni de l’autre.
Celui ou celle qui aura le dernier mot aura l’impression de vaincre, d’avoir gagné, d’avoir raison. Sentiment fugace de supériorité vite remplacé par un sentiment de culpabilité.
Attendons que les passions s’apaisent…
Assaillons-nous autour d’une table et parlons doucement de nos inévitables mais riches différences.