Les bouleversements que nous vivons impliquent un nouveau chamboulement dans l’organisation du couple et de la famille. Dans le cadre de la thérapie de couple et pour rendre plus compréhensible mon propos, je me suis toujours efforcée de distinguer quatre fonctions éventuelles qui découlent de la vie à deux : le couple amant (sensualité – érotisme), le couple ami (tendresse – solidarité), le couple conjugal (organisation domestique) et le couple parental (éducation des enfants). Ces quatre fonctions sont généralement amalgamées dans l’appellation générique « couple ». En réalité, chacune de ces fonctions possède ses propres impératifs de temps, d’espace et de comportements. A chaque fonction correspond un état d’esprit et des compétences qui lui sont propres : fantaisie et légèreté pour le couple amant, complicité et connivence pour le couple ami, capacité organisationnelle pour le couple conjugal, autorité-bienveillance pour le couple parental. Se greffe aujourd’hui une cinquième fonction pour le couple : celle d’assumer chômage partiel et ou télétravail au sein du domicile familial.
La notion de chômage partiel dévalorise ce que l’on appelait avant le confinement le « temps partiel » ou temps de travail partiel. Les deux conduisent au même résultat temps-espace mais le premier sous-entend une valeur négative : le chômage.
Le télétravail, quant à lui, n’est pas encore considéré à sa juste valeur de « vrai travail » avec tout ce que cela implique : spécificité, place et temps réservés et respectabilité.
Si on se tient au principe des fonctions, à quoi ressemblera la nouvelle mission du couple ? Sachant que le couple ami est le cerveau, le lien conceptuel, celui qui propose de s’arrêter, s’asseoir, discuter et prendre des décisions. Grâce à une communication adaptée et adaptable, il se situe au centre et fédère les autres fonctions. Demain son influence s’étendra à l’organisation et à la valorisation d’une ou deux activités professionnelles sous le toit familial. Sachant d’autre part que le couple conjugal est garant du confort matériel des personnes, soutien logistique, responsable d’une distribution équitable des tâches et de leur faisabilité. Demain, il devra également assumer l’installation et la gestion d’une ou deux activités professionnelles intramuros. L’ergonomie, science des conditions de travail et des relations entre les personnes, va entrer dans le domaine conjugal. Elle complétera et soutiendra l’action du couple conjugal. Le couple devient effectivement un complexe plurifonctionnel, acteur sans précédent de la transition amour-action. Il est urgent de le reconnaître en tant que tel et de le valoriser en créant des ateliers du couple, des centres de recherche, une éducation beaucoup plus vaste à la sexualité humaine et à la relation de couple.
Faire l’amour : contrainte ou escapade ?
A ceux qui pensent que le confinement favorise la sexualité, je demanderai d’abord laquelle, l’assouvissement d’un besoin ou l’aboutissement d’une relation ? Je ne me lasserai jamais d’explorer cette différence majeure entre l’homme et la femme dans la sexualité du couple : la proximité physique provoque la plupart du temps chez l’homme un besoin et un désir de rapprochement sexuel, désir naturel physiologiquement spontané. C’est pour cette raison que la femme accuse son compagnon, à tort bien entendu, d’être un « obsédé sexuel ». Pour elle, le désir n’est pas instantané. Il dépend d’une ambiance de bien-être, de légèreté, d’attentions, d’un certain romantisme, pour accéder à un échange sensuel enfin partageable. L’homme, alors, soupçonne sa compagne de frigidité, d’indifférence ou d’infidélité. Les deux sont victimes de fausses croyances qui émanent d’une ignorance entretenue par notre société. Quand l’homme est dans le désir la femme est dans le désir du désir. Ce décalage est trop rarement décrit et démontré. Notre conception de la sexualité humaine est loin de respecter notre capacité à enrichir et à embellir la sexualité du couple.
A ceux et celles qui croient que la sexualité humaine est un besoin vital au même titre que manger ou dormir je réponds qu’il serait bon de dissocier la génitalité (sexualité de la reproduction), de l’érotisme (art de la sexualité). J’entends par érotisme la dimension humaine de la sexualité : savoir susciter et entretenir le désir du ou de la partenaire par des attentions préméditées ou improvisées, étonner, apprivoiser, jouer de l’intuition des gestes et des mots, faire preuve de délicatesse, mais aussi inventer et scénariser, bref, le contraire de la spontanéité physiologique et de la magie du temps de la passion. Le sexe et les mots entretiennent des rapports si contradictoires que lorsque le sexe se dit, il ne se fait pas, et lorsqu’il se fait il ne se dit pas. Une culture de la fusion dans le mariage et une éducation pitoyable dans le domaine de l’affectivité et de la sexualité dans le couple, perpétuent l’ignorance et la superstition mais aussi la licence et la perversion. On dit le sexe à mots couverts, ou on ne le dit pas du tout, ou on le dit mal. Nous employons l’expression « faire l’amour » dans le cadre de deux situations extrêmement différentes : le couple intensément amoureux au plus fort de la passion et le couple amicalement amoureux au plus loin dans la durée. Notre vocabulaire amoureux est bien pauvre qui nous fait mélanger les effets magiques de la passion et la nécessaire et passionnante fabrication du désir et du plaisir entre deux personnes qui souhaitent vivre ensemble longtemps. Les amalgames qui résultent de cette confusion des mots et des personnes sont lourds de conséquences pour le couple post-passion et bien souvent sources de violences. Le confinement quel qu’il soit est une contrainte, l’érotisme une escapade. Les deux sont incompatibles.
La bonne routine fait son retour sur la scène du couple
Je m’étais engagée fin mars à parler ici des couples qui souffrent et ne cassent pas des portes pour autant. A l’encontre des catastrophistes, ces situations sont les plus fréquentes. Au cours des huit semaines de confinement, grâce aux entretiens téléphoniques individuels et aux échanges par Skype avec les couples, je n’ai pas entendu uniquement des plaintes. A situation exceptionnelle, réactions exceptionnelles. Des hommes et des femmes que je croyais « au bout du rouleau » ou prêts-es à se séparer et d’autres déjà engagés-es dans une procédure de divorce ont fait machine arrière. Comme si, face à un ennemi encore plus dangereux (l’épidémie), le réflexe était de se ré-unir et de « faire corps ». Chez eux, une nouvelle complicité s’est installée, sans doute par un réflexe d’autoprotection. Le sentiment amoureux les avait réunis il y a plus ou moins longtemps et c’est le souvenir de cet amour et le sentiment de solidarité réciproque qui les re-lient aujourd’hui.
Certains propos sont édifiants : « Je me suis rendue compte à quel point notre routine, nos habitudes, nous aident à surmonter nos différents… c’est comme une ancre qui nous relie à la vie » … « Au fur et à mesure que nous rangions nos livres, notre vaisselle, nos vêtements, nous avions l’impression de nous ranger, nous !… nous avons partagé ce ressenti, ça fait du bien »… « Je réalise, avec le confinement, que je suis bien chez moi. Nous nous sommes organisés différemment, on a changé beaucoup de choses… comme si on recommençait… c’est devenu un jeu. »
Confinement et déconfinement sont des étapes qui se reproduiront peut-être dans notre futur. Nul ne le sait. La routine, les habitudes étaient considérées comme des valeurs démodées, hors cadre du « tout nouveau tout beau ». Dans son essai sur « Le devoir de bonheur », Pascal Bruckner romancier philosophe, transfigure la routine : « Le grand art ne consiste pas seulement à briser la routine mais à jongler avec plusieurs pour ne dépendre d’aucune… en inventer de nouvelles, cela s’appelle une renaissance. »
La routine peut devenir l’amie du couple complice quand les petites satisfactions quotidiennes nourrissent et valorisent notre vie de tous les jours. C’est peut-être grâce à nos habitudes que nous sommes capables d’inventer et de construire de nouvelles compétences. Dans le couple, l’ordinaire peut nous reposer de l’extraordinaire. Organiser, ranger chacun-e à sa manière, nous octroyer le temps du couple et le temps pour soi, échanger nos désirs de changements et faire de tout cela… une bonne routine…
Mon premier livre : A nous deux, le couple !
Faire de sa vie en couple un « plus » et non un poids.
Passer du couple à tout prix, du couple douloureux, qui enferme, qui inhibe, au couple qui aide à devenir soi, tels sont les objectifs vers lesquels l’auteure veut nous accompagner. Vaste chantier, qui exige curiosité et goût du risque dans une exploration difficile et passionnante de l’originalité de chacun et de notre relation à l’autre. Projet qui vise à réinventer le couple et à repenser de façon très concrète la vie à deux et en famille. À travers de nombreux exemples tirés de son expérience novatrice qui fait appel à une médiation lexicale, conjugale et sexuelle, Anne-Marie Wolsfelt nous invite à envisager le couple de façon plus lucide, plus raisonnée, plus froide peut-être. La famille est appréhendée comme une entreprise à deux têtes qui s’appuie sur une gestion de l’espace (organisation domestique), du temps (planification) et des ressources humaines (exploitation des différences), et qui a pour élément moteur la communication des émotions et des idées.
Plaidoirie pour le couple
Gardons le cap sur le couple. Parce que je crois que c’est lui qui nous sauvera. « Le couple est la civilisation minimale – le contraire de la guerre, l’antidote de la mort » écrit André Comte-Sponville dans son dictionnaire philosophique. Oui, j’aime bien cette expression : « la civilisation minimale » et je l’interprète de cette façon : le couple est le plus petit groupe sociétal à la fois représentant et miroir de notre civilisation. Quel destin !
De mon fauteuil d’écoute, je m’intéresse à ce couple qui reflète avec fidélité la complexité et l’évolution de notre société.
—J’observe le couple dans son désarroi ; ballotté inexorablement comme un bouchon dans les méandres de l’évolution technologique, économique, sociétale. Exposé aux invectives des moralisateurs et prôné par les partisans du « super couple ». Partagé entre les idées reçues, croyances diverses et variées du couple du XIXe siècle (rôles sexués de l’homme et de la femme) et les impératifs présents (redistribution de ces mêmes rôles en fonction des choix et des compétences de chacun-e).
—J’observe le couple dans son désir de « normalité ». Normal signifie pour eux : bons parents, belle maison en ordre, complicité bienveillante, sensualité et sexualité partagées. Mission impossible ? Comment, dans les conditions actuelles (même sans confinement physique) le couple pourrait-il assumer deux professions, tenir une maison, élever un, deux ou trois enfants, laisser à chacun-e un peu de temps et d’espace et être « normal » ? Les couples qui veulent bien faire n’en peuvent plus ! Ils n’y arrivent pas. Malgré toute leur bonne volonté ils se sentent confinés dans leurs multifonctions, épuisés, impuissants face à l’injonction sociétale du «conjugalement normal ». Il faudrait peut-être créer des emplois d’aide à la famille, former et valoriser des professionnels dans ce domaine ? On résoudrait par la même occasion en partie le problème du chômage ? Peut-être suis-je en train de rêver… ?
—J’observe le couple dans son désir de changement, d’inventivité, de construction… mais on ne l’accompagne pas, on en parle pas, on fait comme si le sens de la vie de couple était inné. Certains-es travaillent d’arrache-pied (dans nos cabinets de réflexion) pendant des semaines ou des mois à la transformation de leur vie de couple et quand ils ont enfin trouvé le sésame d’un entre-deux harmonieux et enrichissant, ils posent cette remarque et cette question : « Il faudrait que tout le monde sache que l’on peut tout remettre en question et qu’il est en notre pouvoir, individuellement et à deux, d’interagir sur une relation de couple et par voie de conséquences sur notre bonheur individuel.
Cette « civilisation minimale » qu’est le couple est aujourd’hui au minimum de ses capacités parce que nous demeurons nostalgiques du couple idéalement et éternellement amoureux et bienheureux, sans rien faire. C’est une utopie et une erreur. La vie en couple pourrait être beaucoup plus intéressante que dans ces extrêmes-là. Nous travaillons dans ce but.
L’image du couple en danger et sa nécessaire reconstruction reflète-t-elle une civilisation en mutation au chevet de laquelle nous devrions tous nous pencher ?